Shirakawa – 1er jour

Je suis de retour. Contents?

Au départ, je pensais faire un seul billet sur mon séjour à Shirakawa. Peut-être deux. Il est vrai que je n’avais aucune idée de ce qui m’attendait. Aujourd’hui je peux officiellement déclarer que Hoshien est le meilleur dortoir parmi tous ceux que je connais à Waseda – certes, on le paie en moyenne 10’000 yens par mois plus cher que les autres, mais aucun autre dortoir n’organise des sorties. Surtout des sorties de ce genre-là.

Je viens de revenir d’un séjour absolument incroyable, que je ne pourrais possiblement décrire en un seul post; c’est donc jusqu’à vendredi que vous aurez droit au récit de mes aventures à Shirakawa (avec l’intermède musical du mercredi, bien sûr). Je vais essayer de me souvenir d’autant de choses que possible; et, si vous lisez ce blog par simple curiosité, je pense qu’il y aura de quoi vous intéresser. Si, par contre, vous êtes tombés dessus car vous êtes actuellement à Hoshien et songez à prendre part à cette excursion annuelle, je n’aurai qu’une seule chose à dire: allez-y quoi qu’il arrive. De l’avis général dégagé dans le car de retour, nous avons eu droit aux trois meilleures journées depuis notre arrivée – et ce n’est pas peu dire quand on considère tout le reste qu’il y a à vivre au Japon.

Mais procédons dans l’ordre.

Vendredi matn, réveil à 5 heures 30. Le sentiment est plutôt à l’appréhension – « ai-je bien fait de m’inscrire »? Partir à Shirakawa, c’est louper un cours de japonais (à rattraper le dimanche soir), la soirée d’Halloween et surtout le Sokeisen – le fameux match de baseball entre les équipes des éternels rivaux Waseda et Keio, l’un des musts de l’année. Le manque de sommeil ne fait que renforcer la morosité ambiante. J’avale un yaourt avec quelques cornflakes et descends dans la cour. Le car attend déjà.

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Avant de monter dans le car, on doit se soumettre… à une prise de température. Eh oui, la grippe porcine rode et les personnes dont la température dépasserait 37.0° ne seraient pas admises à bord. Cet examen médical est en fait le deuxième que les participants ont à subir – le premier a eu le mercredi en présence de la monitrice du voyage et de l’infirmière du dortoir, avec des questions allant de « avez-vous déjà été opéré? » à « êtes-vous malade en voiture? ». Au Japon, on ne rigole pas, même (et surtout) quand on rigole.

La qualité de l’organisation – aussi impeccable qu’inflexible – a suscité durant ces trois jours autant de plaisanteries que d’admiration. Plaisanteries, parce qu’il est vrai que des consignes comme « Maintenant, vous avez du temps libre. Soyez de retour dans dix-huit minutes. » ou encore « N’oubliez pas vos portables, appareils photo et sacs à main dans le car. », répété à chaque fois que ce dernier s’arrêtait sonnent… étrangement aux oreilles des Occidentaux que nous sommes. Admiration, parce que ce paternalisme est en fait indispensable – un groupe de touristes est, on le sait, plus stupide que le plus stupide des touristes en faisant partie; et ainsi, sans ces consignes, quelqu’un oublierait son appareil photo à tous les coups. Faire visiter douze endroits en deux jours et demi à un groupe de 20 personnes dont la moitié ne parlent pas japonais relève en effet du tour de force, et l’organisation draconienne n’est en fait pas un gimmick mais un sine quoi non.

J’ai 36.4° et suis donc admis à bord. Ouf. On nous distribue un livret (de 18 pages!) sur les visites que nous allons faire et le car démarre. L’ambiance est ensommeillée (il est sept heures du matin) et personne ne connaît personne. Pourtant, le courant commence à passer peu à peu; je me découvre des intérêts en commun avec mes voisins, que ce soit pour la photo…

– Toi aussi t’as un réflex numérique hors de prix! Peut-être que tu peux enfin m’expliquer ce que ce réglage veut dire?

– Hm, aucune idée.

– Moi non plus. Et sinon tu sais comment lire l’histogramme de luminosité?

– Euh, non.

– Ouais, ça fait un an que je me dis que je devrais aller le regarder sur Wikipédia. Mais j’oublie toujours.

…le jeu de go…

– Je joue au go.

– Moi aussi.

– Enfin, quand je dis « je joue » je veux dire que j’en ai fait quelques fois il y a deux ans avant d’arrêter.

– Pareil ici.

…ou le jeu vidéo (le car est rempli d’étudiants qui ont voulu passer un an au Japon, n’oublions pas).

– T’as vu la fille devant? Elle a une DS!

– Je me dis parfois que je devrais m’en acheter une ici.

– Moi aussi, mais dans ce cas je cesserai toute vie sociale et mourrai de faim dans ma chambre.

– Bon argument.

Alors que les passagers du car faisaient connaissance, la poésie industrielle des banlieues de Tokyo…

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…laissait la place à celle de la nature.

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Après quelque trois heures de route (ponctuées de deux pauses-pipi d’exactement quinze minutes chacune) nous sommes arrivés dans un endroit bucolique qui n’avait plus rien à voir avec Tokyo.

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C’est dans cet ancien moulin à eau que s’est déroulée la première activité du voyage: la fabrication artisanale de pâtes de sarassin, les soba.

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L’artisan nous montre d’abord comment mélanger correctement la farine et l’eau pour que la pâte ne soit pas trop liquide et étale la galette ainsi obtenue sur la table.

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Puis il utilise un bâton cylindrique pour aplatir la pâte.

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La feuille de pâte ainsi obtenue est pliée en quatre, aplatie par une planche en bois…

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(Juha, le Finlandais, a vraiment l’air d’un géant, n’est-ce pas? Pourtant il fait 1m80.)

…et découpée en lamelles.

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Et voilà le fruit du travail: des pâtes toutes fraîches.

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Les soba se mangent froides; on les fait cuire pendant un instant dans de l’eau bouillante avant de les rincer à l’eau froide. Elles nous ont été servies à peine quinze minutes plus tard, dans un bâtiment à côté du moulin.

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Fritz le Norvégien et moi

A vrai dire, les soba ne sont pas mon plat préféré; parfois, cuisiner est plus fun que manger… J’ai par contre bien apprécié le plat de tempura (légumes et fruits de mer frits) servi en accompagnement.

La fabrication de soba m’a appris deux choses:

1. Il est possible de transformer une pâte circulaire en une pâte carrée en l’enroulant d’une certaine façon autour d’un bâton puis en la déroulant. C’est assez magique.

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2. Lorsque je porte un tablier et un couteau, je ressemble à Dexter.

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Et c’est reparti pour une heure de car, qui s’est arrêté devant un collège de Shirakawa pour un échange culturel avec des élèves japonais.

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Certaines choses restent pareilles à travers les continents. Cette salle de cours est si reconnaissable qu’elle ferait presque verser une larme de nostalgie.

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D’autres choses sont davantage propres au Japon, comme ce poster qui explique les choses à vérifier sur l’uniforme et le comportment à adopter avant de se présenter en classe.

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Nous avons été accueillis par une association d’élèves du collège dont le but est de promouvoir l’échange entre les cultures. Assez étrangement, il n’était composé que de filles. Les garçons ont probablement autre chose à faire.

(NB: Le lendemain, j’ai croisé lors d’un dîner une fille qui étudie dans ce collège mais qui est d’origine russe. Elle m’a raconté pas mal d’informations d’insider très intéressantes sur la vie du collège. Par exemple, contrairement aux lycées occidentaux où on ne peut pas s’appuyer contre un mur sans gêner un couple en traîn de s’embrasser, on ne voit jamais ne serait-ce que deux personnes en train de se tenir par la main dans son collège japonais. De manière générale, il n’y a pratiquement pas de couples qui s’affichent… par contre, on peut facilement rencontrer des gens fiancés à l’université. Bref, c’est très différent.)

Un concert de clochettes pour nous souhaiter la bienvenue:

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Nous avons été partagés en quatre groupes et avons eu une heure pour discuter avec les élèves du collège. Au départ, ce n’était pas facile – rien au monde n’est plus timide qu’une fille japonaise de 16 ans entourée d’étrangers qui parlent mal sa langue. Pourtant, au fil des minutes, en dansant entre leur anglais (approximatif) et notre japonais (encore plus approximatif), des points communs ont été trouvés, surtout dans le domaine musical qui se passe de mots compliqués. Ainsi, l’une des filles (1m60 et 40 kilos tout au plus) s’est révélée être une fan d’Aerosmith. Trois des membres de mon groupe ont interprété la chanson de « Mon voisin Totoro ». Une Japonaise a esquissé quelques mesures de « Billie Jean ». Finalement, j’ai personnellement sacrifié ce qu’il me restait de dignité sur l’autel des relations internationales en chantant – en français – le générique de la première saison de Pokémon.

Bref, la rencontre (dont nous avions assez peur au départ) a été un succès et nous nous sommes séparés en étant contents de nous-mêmes (j’arrive à me présenter en japonais!).

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Nous avons quitté le collège à 16:30. Le soleil se couchait déjà peu à peu (c’est comme ça au Japon) et le réveil à 5:30 a gentiment commencé à se faire sentir. Le car a démarré en direction des montagnes et nous nous sommes endormis un par un…

Une heure plus tard, nous nous sommes révéillés au milieu d’une montagne sur les hauteurs de Shirakawa. Il faisait complètement nuit et autour de nous, il n’y avait qu’une forêt sombre. Pourtant, un chemin éclairé par des lampes allait se perdre dans les montagnes. Nous l’avons emprunté pendant une dizaine de minutes avant de déboucher sur un hôtel traditionnel japonais, ou ryokan. Marcher dans la forêt et soudain apercevoir, devant soi, la lumière des fenêtres percer le feuillage des arbres laisse une impression assez féérique, très « arrivée au Poney Fringant ». Et l’intérieur du ryokan est exactement comme on l’imagine: petit, étriqué, angulaire, tout en détours et alcôves, bref, incroyablement cosy:

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Un autel juste devant l’entrée:

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Le chat, visiblement, pas vraiment content, mais habitué, à se faire flasher par trois appareils à la fois:

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Quelques posters des beautés du siècle dernier:

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Le principal atout du ryokan était sans aucun doute la présence de sources thermales (onsen). De plus, celles-ci était situées à l’extérieur et, pour parachever le tout, devant une cascade. Etre plongé dans de l’eau chaude en regardant les étoiles et en écoutant l’eau rebondir sur les pierres et les racines – qu’y a-t-il de mieux?

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Oui, peut-être un dîner bien mérité. Le repas était dans le style traditionnel japonais, c’est-à-dire composé d’une multitude de petits plats. Ci-dessous, nous avons du poulet frit, du céleri à la mayonnaise, des légumes à l’oeuf cru, des marinades, des boulettes de fruits de mer, un poisson mariné et une tranche d’orange pour le dessert. Le tout accompagné, bien sûr, de riz, de soupe miso et de thé vert.

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Le repas était délicieux, mais il y a un prix à payer pour tout, et le prix à payer pour faire des choses traditionnelles au Japon est d’être assis dans des positions horriblement inconfortables pour un non-habitué. La plupart des Occidentaux n’ont tenu que quelques minutes avant de commencer à grogner, à essayer de passer le poids du corps d’une jambe à l’autre, de se frotter les cuisses avant d’abandonner et d’étaler discrètement les pieds sous la table (ce qui est normalement considéré comme impoli).

Après le repos physique et la nourriture terrestre, place à un peu d’entraînement cérébral grâce au goban trouvé dans la salle commune de l’hôtel (qui abrite aussi un ordinateur connecté à Internet et une impressionnante collection de mangas).

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Et c’est l’heure d’aller se coucher. Mais où sont les lits? Il n’y en a pas – on prend l’un des matelas (futons) à droite et on l’étale sur les tatami. Les draps, oreillers et couvertures sont dans un placard. Quand à la chose étrange au milieu, c’est une espèce de combinaison entre table à roulettes, couverture et chauffage éléctrique; on peut s’en servir pour se réchauffer les pieds en buvant du thé l’hiver ou simplement la pousser de côté pour faire de la place.

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Bonne nuit, donc. Demain sera un jour encore meilleur.

11 Réponses to “Shirakawa – 1er jour”

  1. Lucien Says:

    Hey!
    Ce billet est superbement écrit et l’on ressent beaucoup de ton excursion. Ca avait vraiment l’air magnifique, tes photos de l’hotel et ta description du lieu (nature, foret, bains) me fait fortement penser à l’atmosphère dégagée dans le film japonais que nous sommes allés voir avant ton départ, Departures.
    J’aime beaucoup ta manière d’alterner photo et texte, l’un dans l’autre ca permet vraiment de se faire une belle idée de se ce que tu es en train de vivre. Je me réjouis de lire la suite…

    PS: Ta photo en tablier et couteau de boucher est incroyable. On dirait vraiment le fils caché de Dexter Morgan! ;-D

    J’espère qu’on se parle bientot sur Skype. A tout bientot l’ami! 🙂

  2. Robin Says:

    Ha ha, en effet quelle photo!! La ressemblance est plus que troublante 😉

    à plus Anton

  3. dekox Says:

    Très bon billet. Ca a l’air fabuleux. Je t’envie !

    Et la ressemblance avec Dexter est troublante…

  4. Alex Says:

    Omg tu te rappelles du générique de pokémon:) Chapeau petit monstre dexterisant, plutôt agréable à lire!

  5. 100 « Anton au Japon Says:

    […] De plus, vous avez aussi eu droit à des visites guidées dans des villes comme Kamakura, Nikko, Shirakawa ou […]

  6. Australie I: Le projet « Anton au Japon Says:

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